samedi 30 mai 2020

Des accords arbitraires ?


Non, ce n’est pas la première fois
Que des lecteurs se rient de moi
Pour quelques fautes d’orthographe,
Indignes d’un bon typographe.
Lorsque j’en ai l’information,
Je relis ma publication,
Et recherche les solécismes
Qui défigurent mon graphisme.

L’infinitif
Ce qui m’arrive quelquefois,
Étant un peu trop sûr de moi,
Est de rater l’infinitif,
Faute d’être assez attentif.
Négligeant les prépositions,
Ou le verbe mis en amont,
Certains verbes non conjugués
Deviennent un participe passé.
Erreur basique, s’il en est,
Qui coûte cher à l’écolier.

Mais c’est surtout le participe
Qui est objet de polémiques.

Participe passé
L’accorder est élémentaire
Avec « être » comme auxiliaire.
Si c’est avec le verbe « avoir »,
Nombreux ceux qui se font avoir.
Parce que le participe passé
Préfère le complément d’objet,
À condition qu’il soit placé
Avant le verbe concerné.
Peut-être la faute des moines,
Qui trouvaient cet accord idoine.1



Mais les verbes pronominaux

Se révèlent encore plus finauds.
Là, c’est un véritable choc,
Entre passif ou réciproque,
À coup de pronoms réfléchis,
De verbes au sens introverti,
L’accord se perd en conjectures,
Pour trouver la bonne écriture.
Et même bien des grammairiens,
Y perdent un peu de leur latin.




Et les exceptions !
Les exceptions sont diaboliques
Au point de nous rendre hystérique !
Ainsi, même installé devant,
Le COD devient néant,
Lorsqu’il exprime un temps passé,
Un poids, un prix, une durée.
Le participe doit l’oublier,
Car plus question de l’accorder.
Dans ces cas pensez au trois P :
Prix, Poids, Passé … désaccordez ! 2

Casse-tête !
Ces règles sont de vraies galères
Qui sont parfois sources de guerres,
Entre des linguistes experts,
Amoureux de notre grammaire.
Car les erreurs se multiplient,
Provoquant parfois des conflits,
Pour un désaccord sur l’accord
On en arrive au corps à corps.
Même en haut lieu, on se fourvoie, 3
Le COD fait des dégâts !

Raison d’État !
La norme vraie et authentique
Reste la loi académique,
Les immortels restent campés,
Ne voulant pas vraiment changer.
Mais par décrets ou arrêtés
L’État se donne autorité
Pour accorder des tolérances
Dans certaines circonstances.
L’ambiguïté est donc légale,
Dans les erreurs grammaticales. 4

Réformer ?
Nos amis belges n’ont pas tort
De vouloir changer ces accords.
Aucune logique syntaxique,
Sémantique ou morphologique,
N’induit l’accord du participe,
Qui semble n’être qu’un principe.
Est-ce bien utile à notre langue
De maintenir une telle gangue
Qui ne fait que des polémiques
Sans intérêt orthographique ?

Deux Belges Arnaud Hoedt et Jérôme Piron ont proposé
de modifier les règles de l'accord du participe passé.


Épilogue
Il est de la grammaire comme de la politique,
L’obligation d’accords est parfois maléfique.
Ceux qui croient détenir une vérité certaine,
Mettent les citoyens en position malsaine.
Imposer des accords sans une logique claire,
Relève bien souvent d’un pouvoir arbitraire.



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1/ À l’origine de l’accord avec le COD placé avant :
Les moines copient alors au fil de la plume. Quand ils écrivent, par exemple : « Les pieds que Jésus a lavés », un simple regard vers la gauche permet d’identifier ce que Jésus a lavé. Il a lavé quoi ? Les pieds. Donc le moine accorde. Par contre, quand il écrit : « Jésus a lavé », il s’interroge. Jésus a lavé quoi ? Je ne sais pas, je vais attendre la suite du texte. Le moine poursuit : « Avant la fête de Pâques, sachant que son heure était venue, lorsque le diable avait déjà inspiré au cœur de Judas Iscariote, fils de Simon, le dessein de le livrer, et patati et patata, … les pieds. » À tous les coups, quand le moine est arrivé à « les pieds », il a oublié qu’il avait un participe à accorder, ou il n’a plus la place pour écrire le « s » parce qu’au Moyen Age, les mots sont souvent attachés les uns aux autres. C’est cet oubli qui est à l’origine de la règle des accords avec l’auxiliaire avoir.

Certains attribuent l'origine de cet accord casse-tête à Clément Marot, poète officiel de la cour de François Ier au XVIe siècle.
Enfants, oyez une leçon :
Notre Langue a cette façon,
Que le terme qui va devant
Volontiers régit le suivant.
Les vieux exemples je suivrai.
Il faut dire en termes parfaits :
Dieu en ce monde nous a FAITS.
Faut dire en paroles parfaites :
Dieux en ce monde les a FAITES. [...]
Voltaire n’hésita pas à en dire : « Clément Marot a ramené deux choses d'Italie : la vérole et l'accord du participe passé... Je pense que c'est le deuxième qui a fait le plus de ravages ! ».

L’avis de Bernard Pivot : « J'imagine que je me présente devant Dieu. Dieu me dit : Je suis content de vous voir Pivot ; Expliquez-moi la règle des participes passés, des verbes pronominaux, parce que moi, tout Dieu que je suis, je n'y ai jamais rien compris. Et je lui répondrais, modeste : Moi non plus Seigneur. »



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2/ L’exception des trois P.
Évidemment, le participe passé avec « avoir » s’accorde avec le complément d’objet direct placé avant … sauf si ce complément d’objet direct exprime un poids… un prix… ou un temps passé, une durée…
P comme Poids, P comme Prix, P comme temps Passé… Pensez-y !
Poids : Les deux kilos que j’ai soulevé. On n’accorde pas.
Prix : Cent euros que j’ai gagné. On n’accorde pas.
Passé (la durée du temps passé) : Les cinq minute que j’ai passé. On n’accorde pas.

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3/ Le ministre de l’éducation nationale, Jean Michel Blanquer, piégé sur le participe passé par manque de tolérance.

Le ministre de l’Éducation nationale a subi une épreuve quelque peu humiliante faute que soient prises en compte par ses « examinateurs » (des journalistes) et par lui-même (!) les « tolérances grammaticales ou orthographiques » de l’arrêté « Haby » du 28 décembre 1976. Sur France Info, le jeudi 6 septembre. L’un des journalistes interroge Jean-Michel Blanquer :
« Les crêpes que j’ai mangées. Mangées ? » - « ées » - « Oui ! Les crêpes, virgule, j’en ai mangé. Mangé ? » - « ées, aussi ». - « Non, j’en ai mangé : avec en, c’est « é ». Vous auriez dû dire les crêpes, virgule, j’en ai mangé. » - « C’est ce que j’ai dit, virgule. »

L’autre journaliste prend le relais dans l’interrogation du ministre de l’Éducation nationale :
« Les deux euros que m’a coûté ce livre. Coûté ? » « é » - « Oui, ce n’est pas si difficile que ça. Puisque ce n’est pas le complément d’objet direct. » - « C’est plus subtil que cela en fait. Lorsque le participe passé du verbe coûter est employé au sens propre, il est invariable ; mais il est variable lorsqu’il est utilisé au sens figuré ».
Il est remarquable que ni les journalistes, ni surtout le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer n’ont songé aux « tolérances grammaticales ou orthographiques » de l’arrêté du 28 décembre 1976 : « Accord du participe passé conjugué avec avoir dans une forme verbale précédée de « en » complément de cette forme verbale : J’ai laissé sur l’arbre plus de cerises que je n’en ai cueilli ou j’ai laissé sur l’arbre plus de cerises que je n’en ai cueillies » « Participe passé des verbes tels que : coûter, valoir, courir, vivre, etc., lorsque ce participe est placé après un complément: je ne parle pas des sommes que ces travaux m’ont coûté (coûtées). J’oublierai vite les peines que ce travail m’a coûtées (coûté) »
Au lieu d’évoquer ces « tolérances » (par manque de « science » ou de « pragmatisme », ses deux « principes » proclamés ?), le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer répond aux journalistes : « Bien sûr, il y a des subtilités. Mais pourquoi vouloir édulcorer les choses ? Nous sommes un grand pays. Nous sommes structurés par notre langue. Son rôle est fondamental dans ce que nous sommes »

Bigre, une invocation soudaine à la préoccupation politique identitaire ? Ou bien tout simplement la conséquence plus ou moins inconsciente d’un aphorisme de Claudel : « la tolérance, il y a des maisons pour ça » ?

Claude Lelièvre 7 septembre 2018 


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4/ LES TOLÉRANCES DU MINISTRE DE L'ÉDUCATION NATIONALE DE France : Un projet ambigu

Qu'on le croie ou non, le ministre même de l'éducation nationale de France, René Haby, vient de sanctionner officiellement une liste de tolérances orthographiques. Cet arrêté concerne une série de « bêtes noires » de l'orthographe française tout à fait différentes de celles qui sont touchées par le projet de normalisation de Thimonnier. Ceux qui en ont établi la liste se sont sûrement inspirés des erreurs les plus fréquentes des élèves français qui, à les regarder de près, se comportent étrangement comme les nôtres.
Mais cet arrêté officiel, comme il ne s'adresse qu'aux correcteurs d'examens et de concours, vise avant tout à ce qu’un élève ne se voie pas privé d'un diplôme ou d'un brevet parce qu'il ne maîtrise pas toute l'orthographe. En restreignant ainsi l'application de cet arrêté aux examens et aux concours, le ministre de l'éducation nationale crée une ambiguïté fort étonnante : comment peut-on officiellement tolérer un comportement orthographique au moment des examens sans du même coup le tolérer partout et n'importe quand ? Et l'école va-t-elle continuer à enseigner ce qui maintenant est toléré ? Là-dessus, l'arrêté officiel demeure fort discret.
Imaginez-la révolution française que le ministre aurait provoquée s'il avait officiellement promulgué une chose comme celle-ci : « Désormais, partout et toujours, un Français pourra écrire : Finies les peines et les sueurs que l'orthographe nous a coûté ! » Voici donc la liste des tolérances officielles du ministre français. Serons-nous plus français que lui ?

Jean-Guy MILOT
Québec français - Numéro 28, décembre 1977


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