dimanche 10 septembre 2017

Régis Debray : Madame H.


Éditions Gallimard, 158 pages - octobre 2015

N’étant pas grand lecteur, je pioche au hasard
Dans un stock virtuel, au milieu des polards.
Et puisque je n’ai pas une grosse mémoire,
J’ai recherché comment appréhender l’Histoire ;
Éviter les clichés des contes officiels,
Qui sans vraiment mentir, restent préférentiels ;
Avoir une vision bien moins conventionnelle,
Que celle des médias dans l'événementiel ;
Sortir de ces bouquins trop universitaires
Qui nous bourrent le crane d’une histoire linéaire.
Bref, tenter de passer d’une histoire standard,
À celle qui fait sortir les héros des placards.

C’est avec Madame H. que je trouve l’Histoire,
Vue par Régis Debray, dans son propre miroir.
Son autobiographie, apostrophant les faits,
Tels qu’il les a vécus, qu’il les a visionnés ;
Juxtaposant des hommes d’origines, de cultures,
Et d’époques diverses, sortis de ses lectures,
Où qu’au cours de sa vie, il a un peu connus,
Personnages parfois qui me sont inconnus.
Inconnus ! Pas vraiment, juste que ma culture,
Comparée à l’auteur, manque un peu d’envergure,
Et qu’il me faut parfois pour comprendre ses mots,
Sortir de la poussière, notre bon vieux dico.

Enfant d’une défaite qu’il n’a pas digérée,
Debray ressent la honte et toutes les lâchetés
Que l’amère patrie semble lui avoir légué.
Il aurait préféré naitre sous d’autres cieux,
En ville plus rétive et au passé glorieux,
Qui l’aurait célébré bien mieux que ses aïeux.
Une guerre vengeresse aurait fait son affaire,
Mais même la conscription lui fut une étrangère.
Il prétend que la science des probabilités
Lui donnait peu de chance d’une vraie notoriété.
N’entrant pas dans l’histoire de sa mère patrie,
Il est désabusé, voire même un peu aigri.

Se voyant quelque peu inadapté social,
Pour se faire remarquer, il cherche une martingale.
L’écriture d’un beau livre parait inévitable,
Mais une belle guerre lui semble incontournable.
Il aurait donc voulu devenir ce Héros,
Dont on parle partout avec des trémolos,
Et tant pis si parfois on en faits un crypto,
Un faux derche ou un simple mytho.
Il constate qu’Évin fait des héros tronqués,
Enlevant à certains ce qui les rapprochaient :
Malraux et Luky Luke en perdant leur cibiche,
Laissent doucement la place aux fumeurs de haschich.

Adieu pipe billard, chibouques et cure pipe,
La clope électronique devient le génotype.
Il décrit, nostalgique, ces usages passées
Qui sont propitiatoire à l’action de pensée.
Si pour lui, l’ère chrétienne atteint son terminus,
Son démantèlement fut sournois processus.
Quittant le monastère pour le dojo bouddhiste,
L’examen de conscience devint apathéiste.
Une décrispation réduisit les contraintes,
Le faire américain imposa son empreinte.
Le packaging d’abord, l’âme est sans intérêts.
Et le cycle païen, en rond, nous fait tourner.

La profession d’auteur est pleine de déboires,
Poètes et pamphlétaires ne prêchent plus l’espoir.
Coincé dans un présent qui ne sait plus l’histoire,
Face à un avenir qui lui paraît bien noir,
Il semble résigné à cette évolution :
Madame H. comme Hachich et Hallucination.
Le  hashtag l’emporte sur notre réflexion,
L’image forte, à présent, est seule religion.
Il aurait bien voulu écrire l’avenir,
Mais il s’est fait piéger, ne sachant pas mentir !
Sentant la fin venir, il s’autobiographie ;
Est-ce un faux testament pour quelques faux amis ?

Évolution : choisie ou subie ?
Parce que l’Éducation, fut-elle Nationale,
Remplace Humanité et Fondement Moral,
Par une laïcité qui mit dieu(x) au placard,
Et découvre aujourd’hui que dieu à ses hussards.
Nous étions des croyants, nous sommes des Charlie.
Nous avions un seul Dieu, nous avons plein d’amis.
Croyant ressusciter pour une vie éternelle,
Nous serons recyclés à travers nos poubelles.
Avec un minaret à la place du beffroi,
Nous seront réveillés par un ayatollah.
Demain notre angélus s’appellera adhan,
Et nous serons français, laïc … et musulmans.
Car notre humanité se mute en soumission,
Et adieu bikini, alcool et saucisson !

L’auteur
Sa vraie biographie est certes plus complète,
Même si avec le Che, elle est très imparfaite.
Notez qu’il fut un temps, pour le Pacifique Sud,
Chargé par Mitterrand, de notre francitude.
Mais est-ce une période qu’il préfère éluder
Pour l’avoir traversée avec les yeux fermés ?
Ou qu’un haut fonctionnaire s’oblige à enterrer
Quelques secrets d’histoire manquant de dignité ?

L’Histoire
Ainsi en recherchant une vision de l’Histoire
Qui, dans notre avenir, mettrait un peu d’espoir,
J’ai trouvé dans ce livre au moins une certitude :
Suivant que l’on recherche, ou non, ses turpitudes,
Ou bien qu’on s’intéresse à ce qu’elle a de mieux,
Chacun peut lui faire dire, à peu près, ce qu’il veut.
Car si les faits réels restent incontournables,
Leurs actes fondateurs sont souvent  discutables.

Pour la Calédonie
La leçon de l’ouvrage, pour notre beau pays,
Est en fait de savoir quelle dérive on subit.
On a beau vivre ensemble et se congratuler,
Le « France coloniale » doit être éradiquée,
Et rendre aux kanaks leurs terres sacralisées ;
Faire des autres ethnies des sujets coutumiers.
Car notre république, pleine de bonnes intentions,
Idolâtre une ethnie sur l’autel des nations.
Des droits différenciés, basés sur la naissance,
Donne au peuple « premier » une vraie préférence.
En devenant Charlie, on n’est pas plus Kanak,
À être trop gentil, on devient tête à claques !

La raison du plus fort est toujours la meilleure,
Mais elle ne passe plus par les mêmes valeurs.
Celle qui communique et provoque le buzz,
Embellie son Histoire et la rend victorieuse.


Aphorisme : Cette phrase (revisitée) de Madame H. me semble bien résumer notre vision actuelle du pays et l’inquiétude que nous avons à l’égard des promesses formulées par les politiques : « Nous avons un rapport intellectuel à l’avenir de la Nouvelle Calédonie, et un rapport affectif à son passé. D’où la précarité des projets de société, dont la date de péremption est à peu près celle du yoghourt. »