mardi 4 novembre 2014

Quand les crânes font le droit.

Inspirations : Le retour d’Ataï
Antoine Leca, professeur agrégé de droit.
RJPENC n°24, -2014/2

Deux crânes se morfondaient, parmi plusieurs milliers,
Très bien répertoriés, dans le fonds d’un musée.
Sont-ils ceux d’Ataï et de son grand sorcier ?
Qu’importe, pour le symbole, faut les restituer !

Depuis combien d’années furent-ils réclamés ?
Et par qui, et pourquoi, dans qu’elle finalité ?
Ce n’est pas mon propos de faire une polémique,
De ce qui précéda cet acte politique.

C’est surtout la méthode de leurs restitutions1
Qui mérite, à mon sens, qu’on se pose des questions.
Sur la forme d’abord, qui pour être officielle,
Comporte des hiatus qui vraiment interpellent.
Ensuite sur le fond, puisqu’un État de droit,
Par son gouvernement, s’affranchit de la loi.

Sur la forme

Pour noyer le poison d’une pensée socialiste,
Qui tend à soutenir les indépendantistes,
Cette restitution se fit à la famille,
Donnant aux pro-Kanak l’occasion de bisbilles.

La ministre a tenté un discours apaisant,
Mais a eu en retour celui des descendants,
Une harangue violente à l’égard de la France
Rappelant un seul but : une pleine indépendance.2
Le sénat coutumier, lui-même, fut épinglé,
Sans qu’aucun sénateur ne réclame le respect.
L’État  fait des efforts pour être équidistant,
Mais il est entrainé par son propre courant.

Ces discours escortaient deux cercueils reliquaires,
Qui furent, chacun, porté par quatre vacataires.
Pourquoi autant de bras, pourquoi un tel volume ?
Ces crânes pesaient-ils aussi lourd qu’une enclume ?
Certes il fallait donner une certaine majesté
À la mémoire d’un homme qui fut un grand guerrier.
L’état, de cette façon, sacralise une pratique,
Une coutume kanak en forme liturgique.
La république, laïque envers les religions,
Devient-elle des coutumes une sorte de bastion ?

Sur le fond

Il faut savoir qu’en droit, un homme mort n’est rien.
Ses restes sont objets, « biens meubles », à qui les tient.
Ainsi la république, par le biais d’un musée,
S’appropria les crânes d’Ataï et son sorcier.
Propriété publique, en droit, inaliénable,
Leur cession n’est possible que par une voie légale.
L’assemblée Nationale devait l’autoriser,
En clair, il eut fallu un vote des députés.

Ce fut d’ailleurs le cas pour quelques précédents,
Sans que cette procédure ne gêne en rien les gens.
Mais les calédoniens, n’étant pas concernés,
Ne s’y sont, à l’époque, jamais intéressés.
La ministre, aujourd’hui, l’a bien sûr négligé,
Considérant, de fait, ce retour comme inné.
Et les calédoniens lui emboitèrent le pas,
Jugeant bien inutile un débat pour cela.
Les crânes des kanaks seraient-ils si sacrés
Que la loi puisse vraiment n’être pas appliquée ?

Ainsi dans ce pays qui est toujours Français,
Le « droit commun » fait place au « droit particulier ».
Un simple droit oral, aux contours mouvants,
L’emporte sur un droit, écrit et structurant.

Prémices ?

Un éminent juriste à commenter cet acte, 3
S’interrogeant, en droit, sur son futur impact.
Il reste cependant, juridiquement, français,
Et raisonne dans un cadre fortement structuré.

Cependant ces deux droits ont été transférés,
Et sont de compétence, aujourd’hui, du congrès.
Que feront nos élus de cette dichotomie,
Dans la législation, pour construire le pays ?
Si la Coutume est loi, le droit n’est plus commun,
Et ça va compliquer l’unité de destin !

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1/ Le crâne d'Ataï, chef rebelle kanak, officiellement restitué à sa famille.
    Dépêche AFP du 28 Août 2014

Après 135 ans passés en métropole, les reliques du grand chef kanak Ataï, rebelle décapité le 1er septembre 1878 en Nouvelle-Calédonie et personnage toujours emblématique sur sa terre natale, ont été officiellement restituées jeudi à Paris à ses descendants.
C'est au Muséum national d'Histoire naturelle (MNHN), où le crâne d'Ataï et celui de son compagnon "sorcier" étaient conservés, que la cérémonie s'est déroulée, en présence de la ministre des Outre-Mer George Pau-Langevin, du Sénat coutumier kanak et de Bergé Kawa, descendant d'Ataï et grand chef du district de La Foa, sur la côte ouest de l'île.
"J'ai attendu ce moment pendant de longues années, je commençais à désespérer...", a lancé Bergé Kawa, exprimant sa gratitude mais aussi son "malaise".
"Car ces reliques nous renvoient à notre propre réalité: deux peuples, deux cultures qui n'ont jamais cessé de s'affronter et s'affrontent encore aujourd'hui", a martelé le chef kanak au cours d'un long plaidoyer pour que l'Etat français "applique enfin" l'Accord de Nouméa sur le transfert de compétences.
Mme Pau-Langevin a quant à elle rappelé que l'accord de Nouméa reconnaissait explicitement "le choc de la colonisation" et les traumatismes subis par la population kanak, souhaitant que la restitution d'Ataï puisse ouvrir une nouvelle voie vers la réconciliation.
"Je comprends l'émotion évoquée ce matin, mais nous devons travailler de manière très méthodique", a dit la ministre, qui se rendra avec le président François Hollande en Nouvelle-Calédonie durant le mois de novembre.
L'histoire d'Ataï, figure du combat indépendantiste, débute en 1878, 25 ans après la prise de possession de l'archipel par la France. "Protecteur du clan", le grand chef avait pris la tête d'une révolte dans la région de La Foa, pour protester contre les spoliations foncières de l'administration coloniale, doublées cette année-là d'une autorisation donnée aux colons et bagnards affranchis de faire paître leur bétail sur les terres cultivées par les tribus, confinées dans des "réserves".
Pour mater la rébellion, qui fit plus d'un millier de morts chez les Kanaks et 200 Européens, l'armée s'était adjointe des supplétifs de Canala, dans l'est. Le 1er septembre 1878, l'un d'eux, dénommé Ségou, tue Ataï, lui tranchant la tête et la main droite.
Comme les scientifiques de l'époque se passionnent pour l'anthropologie physique, le crâne du chef kanak est placé dans un bocal d'alcool et expédié à Paris pour y être étudié et classé au Musée d'ethnographie du Trocadéro.
Ses descendants doivent le rapatrier, ainsi que celui du "Sorcier", en Nouvelle-Calédonie le 2 septembre. Les reliquaires seront déposés à la tribu de Petit Couli à Sarraméa pendant un an, jusqu'à la tenue de nouvelles cérémonies pour la "levée de deuil".


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2/ Retour du chef Kanak Ataï : Le discours d’une vie.
     Source : Agence locale de presse, 28/08/2014
Extrait
D'une voix douce, parfois inaudible, le chef Kanak a profité de ce moment historique pour vider son sac et regler son compte à la France. Bousculant le protocole et les horaires, le grand chef qui commençait « à désespérer de ne pas voir de son vivant le retour de son aïeul en Calédonie » n’a pas mâché ses mots   « Ces reliques nous renvoient à notre réalité : deux peuples différents qui s’affrontent toujours sur des enjeux politiques et économiques. Nous ne pouvons pas nous dérober d'un passé douloureux, et il y a des cicatrices centenaires encore vives qui ne pourront se refermer ». Et d’énumérer les noms de Machoro, Tjibaou et Yeiwehe Yeiwene. « Où est la place de l'homme au pays des droits de l'homme ? Ni les accords de Matignon, ni ceux de Nouméa, ni l'usine du nord n’ont avons aujourd’hui réduit les injustices. Le peuple Kanak est sinistré dans son propre pays, et ce n’est pas le gouvernement anti-kanak que nous qui va faire évoluer les choses. Nous avons été spoliés par l'État français, et je demande au président de la République la restitution des terres aux habitants. » Le sénat coutumier na pas été épargne, lui non plus : « il est parasité par des politiciens ambitieux ! » Dans l'assistance, beaucoup ont commencé à décrocher.
Alors qu’il abordait les problèmes de pollution causés par l’usine du sud, après déjà quarante minutes de discours (le protocole en prévoyait 10), serge Kawa a été invité, poliment mais fermement, à conclure. Ce qu'il a aussitôt fait en lançant un surprenant « Vive la France! Vive la Kanaky ! » Le discours d'une vie avait été prononce.


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3/ « Le retour d’Ataï : réflexions juridiques autour d’un rapatriement dans des formes juridiques impliquantla substituion du droit civil coutumier kanak au droit français. »
Par Antoine Leca, professeur agrégé de droit dans la Revue Juridique, Politique et Economique de Nouvelle Calédonie.
RJPENC n°24, -2014/2 (au prix de 1 700 Cfp chez les marchands de journaux ou en librairie)

Pour ceux qui n’ont pas accès à cette revue une interview de l’auteur dans les Nouvelles Calédoniennes.

Les Nouvelles Calédoniennes du 02/10/2012
Interview : Antoine LECA, professeur agrégé de droit.
« Pour Ataï il faut une loi »

Invité du colloque à Nouméa sur le « Patrimoine naturel et culturel de la Nouvelle-Calédonie, aspects juridiques », Antoine Leca a présenté ses réflexions autour du projet de restitution du crâne d’Ataï. Des pistes sont suggérées. Rencontre.

Le professeur Antoine Leca est directeur du Centre de droit de la santé d'Aix-Marseille. Photo Y.M

Les Nouvelles calédoniennes : Quel est l’environnement juridique autour du projet de restitution du crâne d’Ataï ?
Antoine Leca : La tête a fait l’objet d’une appropriation muséale, elle est donc devenue un bien du domaine public, en principe inaliénable.
L’analyse peut surprendre et choquer, mais c’est quelque chose de très répandu : les momies, les squelettes, les restes humains, anonymes ou identifiés, sont très nombreux dans nos musées.

Quels « outils » existent pour concrétiser ce projet de retour ?
Pour que le crâne revienne en Nouvelle-Calédonie, il faut un déclassement, c’est-à-dire un acte qui le fasse sortir du domaine public. Ce déclassement ne peut s’opérer que par une loi. Une loi spéciale, comme pour la « Vénus hottentote » en 2002 ou les têtes maories en 2010. On pourrait également imaginer une loi générale, statuant sur le sort des restes humains. C’est la thèse que j’ai voulu défendre lors du colloque sur le « Patrimoine naturel et culturel de la Nouvelle-Calédonie, aspects juridiques ».

Sur quels autres exemples la Nouvelle-Calédonie pourrait-elle s’appuyer pour construire sa démarche ?
A la fin des années 90 est intervenue la restitution des restes de quatre Indiens Charruas originaires de l’Uruguay. C’est un exemple.

Des vides juridiques se font-ils jour sur ces questions ?
Il n’y a pas de statut particulier pour les restes humains dans les collections muséales. C’est une curiosité juridique. Les « pièces » dans les musées sont donc des objets muséaux. On ne distingue pas les objets d’art des restes humains et tout ce qui y est associé. Par exemple, jusqu’au début du XXe siècle, on rajoutait à un masque traditionnel kanak des cheveux d’origine humaine. Dans certains pays, des objets d’art étaient réalisés à partir de restes humains : crâne sculpté, flûte avec l’os du tibia... Toutes ces catégories sont mélangées dans les musées, ce sont des biens publics. Il serait intéressant, me semble-t-il, qu’existe un statut juridique pour ces restes humains.

Des pays ont-ils déjà travaillé voire avancé sur cette problématique ?
Oui, l’Angleterre. En 2004, le Royaume-Uni a donné un statut juridique aux restes humains. Cela permet, dans certaines conditions très restrictives, de restituer lesdits restes aux personnes qui auraient un intérêt légitime à faire valoir. Etant précisé qu’une des conditions de base est : les restes sont restitués pour être ensevelis, pas pour être exposés ailleurs, ce n’est pas un transfert. C’est ce qui s’est passé pour les têtes maories et la « Vénus hottentote». Le retour sur leur terre fut marqué par des cérémonies d'inhumation.

La grande interrogation, relative à la restitution du crâne d’Ataï, demeure celle liée à la recherche du consensus local ?
Une grande question est : à qui va-t-on restituer le crâne ? Il faut un consensus local.

« Une sorte de test, ce retour »

Tué le 1er septembre 1878 par un auxiliaire de Canala, le grand chef Ataï est devenu l’incarnation de la révolte kanak. La nouvelle était tombée début juillet 2011 : le moulage de la tête du guerrier ainsi que son crâne sont conservés dans les réserves du musée de l’Homme, à Paris. L’État semble favorable à la restitution, mais souhaite une démarche consensuelle. Autrement dit, un accord unanime doit être trouvé entre les descendants, les clans, le Sénat coutumier, l’ADCK, la province et le gouvernement. Et ce, afin d’éviter bien entendu des troubles ou récupérations.
Une question surgit néanmoins : ce retour du crâne, peut-il se faire juste à l'aube d'échéances politiques essentielles ? « Si on a la capacité de gérer cet événement d'un point de vue coutumier et politique, on montre que l'on est adulte, que l'on a besoin de personne. C'est une sorte de test, ce retour », avait indiqué aux Nouvelles, Emmanuel Kasarhérou, chargé de mission au musée du Quai Branly. « Une nouvelle fois, je suis persuadé que l'on y arrivera, de manière juste et équitable pour tout le monde. »
Propos recueillis par Yann Mainguet

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1 commentaire:

  1. INCROYABLE!
    INDISCUTABLE!
    FORMIDABLE!
    ........
    HALLUCINANT
    AINSI VA NOTRE TEMPS...

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